2006-01-16

La Finlande est xénophobe

Suite à la publication d'un article à mon sujet sur le blog de Laurent Bervas, on m'a invité à bloguer sur l'Union Européenne, d'une perspective Finlandaise. C'est donc avec plaisir que je rejoins aujourd'hui l'équipe de Europeus pour explorer la question.

Immigration: la Finlande au banc des accusés

L’Union européenne serait-elle une forteresse seulement à l'égard des arrivants les plus pauvres? Hélas, non. Québécois installé depuis 1998 en Finlande, mon expérience — tout comme celle de nombreux autres gens issus de ce groupe appelé par Richard Florida «La Classe Créatrice» — en témoigne. Car, au fil des années, le constat se fait de plus en plus violent: l'élargissement du traité de Schengen occasionne un nombre sans cesse croissant d'obstacles qui empoisonnent petit à petit l'existence et paralysent radicalement la carrière de bon nombre de migrants hautement qualifiés et ce peu importe leur origine territoriale. La raison de cette situation ubuesque au sein d’une Union qui, faute de pouvoir retenir ses «cerveaux», cherche plus que jamais des solutions pour attirer leurs vis-à-vis étrangers, semble être les interprétations excessivement restrictives de la part de certains États membres de la directive européenne sur l’immigration, à laquelle s'ajoute l'attitude coutumièrement négative de la bureaucratie finlandaise qui, non satisfaite de constamment chercher des poux à ses administrés finlandais, semble prendre un malin plaisir à détruire la vie des immigrants ne disposant pas du fameux passeport européen. Comme le démontre l'universitaire canadien Brett Young, dans un entretient donné à Laura Pekonen du Helsingin Sanomat:

«"Je suis arrivé en 1998 sur un visa de travail, puis j'ai obtenu un visa pour lien familial après m'être marié en 2003. La raison du refus [en 2005 de sa demande de citoyenneté] était que je n'avais pas demeuré un minimum de 4 ans sur un visa pour lien familial." La prochaine fois où Young pourra à nouveau déposer une demande de citoyenneté sera en 2007, alors qu'il aura demeuré en Finlande depuis 9 ans. D'ici là, à chaque retour d'un voyage à l'étranger, il devra se taper les longues queues réservées aux ressortissants de l'extérieur, alors que sa femme et sa fillette pourront directement se rendre à la sortie. De plus, lorsque Young doit renouveler son visa, la police se saisit de son passeport pendant des semaines. Si son travail est appelé à l'amener à étranger durant cette période, il doit demander par écrit qu'on lui rende son passeport.»

Un détail non-négligeable est que la loi finlandaise n’est en rien incriminable et son esprit en rien critiquable: le noeud du problème, source de nombreuses pertes d’emplois pour des personnes souvent polyglottes et hautement qualifiés, se trouve dans l’application de ces textes, entre l’esprit de la loi, tel qu'envisagé par le Parlement finlandais, et sa mise en oeuvre par certain bureaucrates peu scrupuleux qui n'hésitent pas à pousser des immigrants de haut niveau à la banqueroute en leur refusant tout renouvellement de permis de travail et en justifiant la décision par des affirmations douteuses, voire en saisissant leur passeport lorsque ceux-ci osent contester la chose devant la juridiction administrative locale et les empêchant de ce fait d'occuper d’autres fonctions à l'étranger pour compenser la perte de leur emploi en Finlande. Un comble, lorsque l’on sait que la Finlande dépense une incroyable énergie à se façonner une image d’État modèle, prétendument juste et équitable, mais pourtant bien éloignée de sa réalité quotidienne et de l'odieux détournement arbitraire de sa propre législation au moyen de circulaires administratives particulièrement obscures. Cette ambiguïté, le chroniqueur Asa Butcher n’a d’ailleurs pas manqué de l’évoquer dans Ovi Magazine, soulignant à juste titre que:

«Une situation où un comité du Ministère de l'emploi suggère que la Finlande doit attirer plus de main d'oeuvre étrangère, en accélérant et en assouplissant la procédure d'octroi des permis de travail, mais se rétracte aussitôt en insistant que l'embauche d'un étranger ne doit en aucun cas se faire au détriment du chômeur finlandais, laisse perplexe.»

Butcher conclut son survol de la situation sur cette note peu reluisante:

«Les stéréotypes, histoires humiliantes, CV inutiles et études discriminatoires ne sont pas la solution pour attirer les 300,000 immigrants supplémentaires dont le pays a besoin; en fait, ils auront plutôt pour résultat de décourager les 100,000 déjà établis. Quel est donc cette idée du premier ministre Vanhanen et de la Finlande de déclarer un besoin urgent d'étrangers alors qu'ils ne peuvent même pas intégrer ceux déjà présents?»

C'est dans un tel contexte que des étrangers auparavant bienvenus sont soudainement jetés, comme un vulgaire condom après usage, dès que le taux de chômage accuse un léger recul, et ce au moment même où, paradoxalement, les entreprises entrevoient déjà une pénurie de spécialistes que la main d'oeuvre locale ou même européenne ne saurait combler. Néanmoins, ce réflexe purgatoire n’est autre que la conséquence perverse du modèle de gestion publique finlandais, où chaque décision entend vouloir répondre à une situation de crise dont la solution ne laisserait place à aucune subtilité. Exemple concret de ce schéma de pensée: le choix du gouvernement finlandais, lors de la crise économique de 1991, d'acculer à la faillite des milliers d'entreprises et d'individus parfaitement solvables afin de permettre aux principales banques finlandaises de ne pas couler avec le navire. Comme le décrit Hannu Raittila dans le Helsingin Sanomat:

«Avec une attitude typiquement finlandaise, la récession fut perçue comme une question de vie ou de mort, telle une famine ou une guerre. Conséquemment, des entreprises parfaitement viables furent poussées à la faillite, d'une manière similaire à des soldats envoyés au front. Les débiteurs et leurs cautionnaires furent sacrifiés comme de la chair à canon lors d'un assaut désespéré. Plusieurs en sont ressortis morts ou blessés, leur vie détruite, leur maison ravagée. Notre sacrifice fut-il en vain? Oui, il le fut. La récession n'était pas une Campagne d'hiver mais simplement le retour momentané du PNB d'un pays prospère au niveau moins élevé qui était le sien quelques années auparavant.»

L’histoire aurait pu s’arrêter à l’exemple finlandais, mais force est de constater que c'est l'Europe toute entière qui se barricade. En Irlande, ce pays «libéral» qui, sur papier, accorde d'office le permis de travail aux étrangers mariés à un ressortissant de l'Union (accompagnés du conjoint ou non), ou dans les pays en principe ouverts aux francophones, tels que la Belgique et la France, les employeurs préfèrent ne pas se mouiller, histoire d'éviter d'éventuelles complications supposées ou réelles avec l'Immigration. Dire que cet état de fait frôle l’absurde est un euphémisme. Pis, il offre une image inquiétante du processus démocratique européen. Car si d'un côté citoyens et employeurs se réjouissent volontiers à l'idée de bénéficier de l'apport enrichissant d'un ressortissant canadien, d'un autre côté l'harmonisation des politiques d'immigration, combinée à certaines de leurs interprétations les plus zélées, fait aujourd’hui de l'Union européenne une cité fortifiée vers laquelle il est quasiment impossible d'immigrer. ¶

Publication dans Europeus

Une version de ce texte est parue dans Europeus le 13 février 2006, avec le titre Immigration: la Finlande au banc des accusés.

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